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La loi ÉLAN : Mise à mort du bail mixte commercial

Le but de la loi ÉLAN est destiné à renforcer l’attractivité commerciale en centre-ville et relancer le logement en France et donc de faciliter la construction de nouveaux logements.

Il faut pour cela des investisseurs… qui se font rattraper par l’impôt sur la fortune immobilière une fois devenus propriétaires du bien immobilier construit.

Une grande loi pour rien ?

L’avenir le dira.

 

Cette loi impacte peu les baux commerciaux, mis à part le bail mixte commercial.

De quoi s’agit-il ?

Il faut distinguer entre le bail mixte professionnel régi par la loi du 6 juillet 1989 et la loi du 4 août 2008 dite loi Mermaz, et le bail mixte commercial régi par le statut des baux commerciaux qui est intégré le code de commerce.

Le statut des baux commerciaux est un vieux statut qui relève d’un décret de 1953 qui trouve son origine dans une loi de 1926.

Le statut a créé une notion unique au monde que la vulgarisation dénomme la propriété commerciale.

C’est une exception française.

Le bail mixte commercial consiste à louer à un commerçant, avec un seul acte, un local à usage commercial le plus souvent en rez-de-chaussée et à usage d’habitation dans les étages mais il n’y a pas de règle absolue en la matière.

De même peu importe la surface du local commercial par rapport à celle du local réservé à l’habitation.

Rappelons pour mémoire qu’un local à usage professionnel peut faire l’objet d’un bail soumis au statut des baux commerciaux.

C’est un choix purement conventionnel.

Le bail mixte commercial est un bail commercial pour le tout soumis aux dispositions du code de commerce y compris pour la partie à usage d’habitation.

Pour cela il faut une exploitation effective d’un fonds de commerce.

Le locataire peut être une personne physique ou morale. Il faut noter cependant que le local à usage d’habitation doit correspondre à un logement décent. Si le locataire a fait du logement son habitation principale, il ne pourra faire l’objet d’une expulsion en période hivernale ce qui n’est pas le cas des locaux à usage commercial.

Ces deux exceptions représentent des avantages importants pour le locataire avec et surtout le droit au renouvellement du bail donc y compris le logement.

Le locataire bénéficie également du statut protecteur des baux commerciaux pour le local d’habitation.

Pour la ville, cela représente l’avantage de voir les étages des locaux commerciaux occupés plutôt que l’inverse la plupart du temps.

Pour le bailleur, le bail mixte commercial représente l´avantage de n’avoir qu’un seul bail régi par un seul code.

On le voit le bail mixte commercial ne représente que des avantages tant pour les intérêts publics que pour les intérêts privés bailleurs-preneurs.

 

 

Avec le temps, les enseignes ont supplanté le commerçant individuel qui occupe les étages. Elles se sont installées dans les rez-de-chaussée commerciaux en délaissant les étages. Il suffit de se promener dans les centres-villes, le nez en l’air pour constater que la plupart des étages sont inoccupés et insalubres.

Parfois les étages ont été transformés avec ou sans autorisation du bailleur et de la mairie en locaux de stockage.

Pour tenter d’y remédier, la loi ENL (engagement national pour le logement) du 13 juillet 2006 a prévu dans son article L 145–23–1 la possibilité pour le bailleur d’une reprise d’un logement vacant à l’expiration d’une période triennale.

C’était intelligent et bien pensé.

Cependant, la mise en œuvre judiciaire de ce texte se révèle d’une complexité inouïe sur le plan procédural, de sorte que les cas de reprise mis en œuvre effectivement sont extrêmement rares.

Sans mettre fin au bail mixte commercial, il y avait là, la possibilité de repeupler les centres-villes de manière naturelle.

Il suffisait de faire simple.

 

 

Au lieu de cela, la loi ELAN a imaginé un nouveau dispositif.

Préalablement à la loi, le ministère concerné a effectué une large concertation publique.

Une seule disposition concernant les baux commerciaux a été retenue par le législateur.

Il s’agit de l’article 157 relatif aux opérations de revitalisation du territoire sous l’acronyme ORT.

De quoi s’agit-il ? C’est une convention signée entre l’intercommunalité, sa ville principale, d’autres communes–membres volontaires, l’État et ses établissements publics et des personnes privées qui veulent intervenir.

Cette convention peut prévoir qu’après sa mise en œuvre dans les centres-villes :

–dans des immeubles à destination commerciale et d’habitation, les baux commerciaux postérieurs à la convention ne pourront porter que sur les locaux commerciaux et les réserves ou annexes. En cas de local mixte commerce–habitation, il y a obligation de créer deux locaux distincts.

–Il ne sera plus possible de condamner l’accès indépendant aux locaux à usage d’habitation.

On pourrait penser qu’à terme, le bail mixte à usage commercial, va disparaître pour permettre le retour sur le marché des locaux vacants d’habitation situés dans les centres-villes.

C’est une possibilité, mais c’est oublier l’hypothèse la plus fréquente de l’immeuble indivisible.

Il s’agit d’un immeuble constitué d’un rez-de-chaussée avec accès direct à l’étage uniquement par le commerce. On parle alors d’un immeuble privatisé.

Avec l’ORT, il ne sera plus possible en cas de signature d’un nouveau bail de louer des étages à usage d’habitation avec le bail commercial du rez-de-chaussée.

Cela signifie que si le propriétaire ne peut pas faire les travaux de séparation faute de moyens financiers ou si ces travaux sont simplement impossibles (bâtiment protégé, monument historique, immeuble remarquable, intervention de l’Architecte des Bâtiments de France, impossibilité technique de diviser l’immeuble, règles d’urbanisme, etc.…) il se retrouvera dans la même situation qu’avant le renouvellement, mais sans la possibilité de louer les locaux réservés à l’habitation.

En définitive, l’étage, objet de toutes les attentions, restera aussi vide avec ou sans l’ORT.

La loi ENL qui devait révolutionner les baux commerciaux a accouché d’une souris. La loi ELAN dont l’objet est de revitaliser les centres villes pêche par omission.

D’ailleurs à la fin de l’année 2019, il était dénombré environ 80 conventions d’ORT signées, ce qui est peu pour l’ensemble du territoire. Cela n’est pas étonnant car la signature de la convention doit se faire entre des partenaires qui n’ont pas toujours des intérêts politiques, économiques et financiers convergents.

C’est dire que l’ORT est un vœu pieux dont la concrétisation parait aléatoire.

Pour mémoire, il sera rappelé que la loi ELN avait prévu la création par les villes, d’un périmètre de préemption en matière de cession de fonds de commerce.

Certaines villes n’ont jamais adopté cette possibilité.

Il y a tout lieu de penser que les étages de centre-ville resteront ce qu’ils sont actuellement, vides et en mauvais état.

Le but est toujours de repeupler et une nouvelle fois c’est raté. Mais au passage, on met à mort le bail mixte commercial. Mise à mort conditionnelle, on l’a vu.

Les conditions sont nombreuses et aléatoires avec un parcours sinueux qui pourrait, malgré tout permettre au bail mixte commercial de se maintenir au grand bonheur de tous les intervenants.

Le titre du présent article est provoquant, mais il semble bien que, bailleurs et preneurs, peuvent dormir tranquilles encore quelques années jusqu’à la prochaine loi.

 

Yves Marchal